Une bête énorme, tapie, prête à bondir de toute sa puissance, ainsi apparaît la montagne Sainte-Victoire aux yeux des aviateurs qui ont la chance de la survoler. A défaut d’aéronef, la carte au 25000e devrait suffire au bonheur de tous les amoureux de nature, fascinés par l’étrange pouvoir d’attraction de cette arête rocheuse de 5 km sur 20 qui domine fièrement la vallée de l’Arc et la ville d’Aix-en-Provence.
Sainte-Victoire nous semble trop familière pour ne pas receler quelques secrets. Servi sur un plateau (le Cengle) aux usagers de l’autoroute Estérel-Côte d’Azur, ce monument présente une variété de formes en différents points de la Provence méridionale. Ainsi, vue de l’ouest, du côté de l’étang de Berre, la montagne sacrée devient pyramide. De ses abords, c’est une falaise.
UN UNIVERS MINÉRAL
A vrai dire, elle offre au randonneur qui la pénètre une infinité de points de vue, de courbes, de perspectives... Le nez collé à la paroi rocheuse, l’oeil rivé au petit bout de la lorgnette, les oreilles à l’écoute du vent qui emporte le parapente, le pied à l’assaut de ses sentiers ou le corps tout entier immergé dans cet univers minéral, les tentatives de possession de Sainte-Victoire se révèlent à la fois multiples et vaines. La montagne ne se livre pas.
Pourtant, ils sont toujours là, les fidèles. Chaque samedi, chaque dimanche, chaque espace de temps libre, ils assaillent le monstre de leurs assiduités. Ce dernier ne leur répond que par un silence dédaigneux, offrant toutefois aux dévots son fascinant spectacle de matière, de couleurs, de saveurs, y ajoutant parfois, avec ostentation, le piment des éléments naturels : le froid, le vent, la neige mais aussi la sécheresse, la chaleur ou le feu... Mais jamais il ne daigne livrer les secrets de son âme.
Ils sont rares ceux qui ont pu recueillir ses confidences. Là réside leur génie. Seuls quelques écrivains, peintres, artistes ont su prêter leur talent - et de quelle manière ! - à son expression... Parmi les grands prêtres de la montagne sacrée, il convient de rendre à Cézanne la place qu'il mérite. Qui mieux que le maître, à travers ses quarante représentations picturales, entre 1885 et 1906, a su exprimer la vie immanente de cette masse rocheuse ?
Ces couleurs se mirent à la surface de deux lacs artificiels, celui de Zola, que l’on doit au barrage-voûte réalisé de 1843 à 1852 par François Zola, le père d’Émile et celui du Bimont, construit entre 1948 et 1952. Ce dernier, point de départ de l’un des plus beaux circuits pédestres du massif, à travers la réserve naturelle de Roques-Hautes, est l’un des principaux rendez-vous des amoureux de Sainte-Victoire.
Balisés par les soins du Syndicat intercommunal du massif de Sainte-Victoire, de l’Agence départementale pour la protection, la gestion et la mise en valeur des espaces sensibles (ADES) et d’associations bénévoles, plusieurs sentiers permettent de découvrir les différentes facettes de la montagne.
SUR LE CHEMIN DES VENTURIERS
Il faut 3 heures pour accéder à La Croix de Provence, érigée en 1875, à proximité du prieuré dont la première construction date du XIIe siècle. Haute de 19 m, elle attire chaque week-end plusieurs centaines de randonneurs. Le chemin le plus facile pour l’atteindre se situe au nord, avant l’entrée de Vauvenargues. C’est celui des Venturiers. Ainsi appelait-on les pèlerins qui montaient rendre hommage à Sainte-Victoire. On a longtemps cru que la montagne avait hérité son nom de la bataille victorieuse livrée par Marius contre les Teutons, en 102 avant J.-C. mais, comme le confirme Jean-Paul Clébert (1), Victoire et Venturier possèdent la même racine, celle du dieu Vencturus, le maître du vent pour les Celto-Ligures, celui-là même qui a donné son nom au mont Ventoux.
Sur le flanc sud, l’ermitage de Saint-Ser (XIe siècle), hélas détruit par un éboulement récent, remplit également son office de point de ralliement pour les promeneurs.
D’autres sites jouissent aussi d’un formidable attrait comme le Pic des Mouches, sommet de la montagne, à 1011 m ou encore le secteur du col des Portes, au nord-est dont la riche végétation a été miraculeusement épargnée par le terrible incendie du 28 août 1989 qui a ravagé la quasi-totalité du massif.
Au nord, Sainte-Victoire abrite à son pied le village de Vauvenargues. C’est là que repose le corps de Pablo Picasso dans le parc du château (XIVe siècle).
Mais si la montagne du vent s’est livrée aux artistes et gens de lettres, elle offre aussi aux scientifiques d’incroyables trésors paléontologiques et archéologiques. Ne demeure-t-elle pas un site mondial majeur pour la connaissance des dinosaures et de leurs oeufs ? Ici commence l'aventure de Sainte-Victoire avant les hommes, une épopée dont l'origine remonte au Jurassique, il y a 200 millions d'années, une autre histoire emplie d'une éternité de mystères à découvrir.
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(1) Jean-Paul Clébert, Guide de la Provence mystérieuse, Sand. 1986.