L’or de l’Estérel n’appartient à personne, pas même au temps. Les instants qui s’égrènent le colorent de mille nuances, le marient tantôt avec la mer, tantôt avec le ciel ou les nuages, tantôt avec la forêt. Il s’écoule au fil des ruisseaux, dévale les cascades, valse avec l’écume et s’échappe dans les flots. Pas un peintre, pas un photographe, pas un écrivain n’a décrit fidèlement l’incroyable couleur de ces rochers de rhyolithe et si Giono a pu qualifier de “vulgaire” ce paysage de carte postale ce n’est sans doute que pour marquer (bien injustement) sa fidélité au Luberon...
L’Estérel a la beauté voyante, reconnaissons-le, Les charmes insolents de sa façade maritime, dominée par l’imposant Cap Roux, défient la Méditerranée. Ils font de la célèbre Corniche d’Or, qui serpente sur une vingtaine de kilomètres entre le cap du Dramont et La Napoule, sans doute la plus belle route de France. Derrière cette image trop parfaite, au delà de cette inqualifiable séduction, se cache pourtant une profonde authenticité. L’Estérel possède aussi une âme, une vie, plus secrète, plus discrète.
Miraculeusement préservée de la spéculation immobilière, la partie orientale du massif doit peut-être son salut à son statut de forêt domaniale. Celle-ci s’étend sur 6000 ha sur les communes de Fréjus et de Saint-Raphaël. Propriété de l’évêque de Fréjus jusqu’à la Révolution, ce domaine de six kilomètres sur douze appartient aujourd’hui à l’État et sa gestion est confiée à l’Office national des Forêts (ONF).
SUR LE SENTIER DE LA GUERRE
Né à l’ère primaire, il y a 250 millions d’années, le massif de l’Estérel se présente dans sa partie orientale comme un amphithéâtre naturel limité par le mont Vinaigre, le massif des Suvières, le Pic de l’Ours, le Cap Roux et le Rastel d’Agay. Cette cuvette constitue l’une de ses particularités. C’est une dépression volcanique, une caldeira.
À cette origine volcanique l’Estérel doit son incroyable paysage de far-west qui fascine les touristes, bien sûr, mais aussi les réalisateurs. Ainsi, l’ONF est régulièrement sollicité pour des tournages par des cinéastes, des publicitiares, des équipes de télé. Le promeneur ne doit donc pas s’étonner si, un jour, au sommet des Suvières ou du côté de la Colle noire il se retrouve nez à nez avec une tribu d’Indiens sur le sentier de la guerre.
Balisée, protégée, aménagée, la forêt est maintenue sous une haute surveillance. Son périmètre est bouclé la nuit. Le camping et le feu sont interdits (l’acte de fumer, par exemple, constitue une infraction). Les chiens sont tolérés, s’ils sont tenus en laisse, La circulation est strictement réglementée, limitée à quelques routes. Des pistes et sentiers sont réservés aux chevaux ou aux vélos tout-terrain. Seul l’heureux piéton bénéficie de la libre circulation (sauf l’été, lorsque l’autorité préfectorale décide d’interdire l’accès au massif en raison du risque d’incendie).
L’attrait de l’Estérel entraîne parfois les passions et ces contraintes ne sont pas toujours acceptées ni même respectées par les usagers. Il est vrai que pour en jouir pleinement, mieux vaut être piéton. Ses merveilles se méritent en effet. Mais quel plaisir de parcourir, de Fréjus à Mandelieu le GR 51, célèbre sentier de grande randonnée dont les repères rouge et blanc sont autant de stations vers une authentique communion avec la nature.
L’OMBRE DES RAPACES
La gestion de la forêt domaniale tient en deux mots dans le discours des responsables de l’ONF : préserver et informer. Il s’agit d’abord de protéger le site contre toutes les agressions et en particulier contre le feu. En 1987, au cœur de l’été, plus du tiers du massif est parti en fumée. En 1964, c’est la totalité de l’Estérel qui a été incendié. La protection se traduit aussi par une extrême prudence face à l’afflux touristique, c’est pourquoi l’ONF conduit une action d’information du public notamment en organisant des visites guidées.
Cette vigilance est à la mesure de la valeur des trésors qu’il convient de protéger. Sa faune compte nombre de variétés rares ou sensibles : des rapaces comme l’épervier, le circaète jean-le-blanc, l’autour des palombes ou le hibou grand duc; la tortue cistude; quatre espèces de lézards mais aussi le cerf élaphe, le chevreuil et le sanglier. Sa flore recèle également des richesses remarquables : le laurier rose, l’ail de Sicile ou encore la fétuque de l’Estérel, une herbe caractéristique du massif.
Au promeneur, qui prend réellement le temps de l’observer, l’Estérel réserve les plus agréables surprises. Ainsi s’impose la découverte du ravin du Mal-Infernet et celle du regretté lac de l’Écureuil, situé dans son prolongement, aujourd’hui, hélas asséché. C’est également un réel bonheur que de s’aventurer des les gorges du Perthus. Celles-ci ouvrent le cœur du massif. Le randonneur y découvrira le surprenant monolithe surplombant le “Pont du Pigeonnier” et se laissera charmer par la petite musique de l’eau vive du Maraval. La route des crêtes, qui relie notamment le mont Vinaigre au Pic de l’ours en passant par les Suvières, offre les plus beaux points de vue d’ensemble avec parfois, au détour d’un virage, la mer pour toile de fond. Une rivale-miroir qui renvoie de l’Estérel la plus fascinante des images : un tableau bleu vert et or, en trois couleurs et mille nuances.
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Les couleurs de l’Estérel