Lucien, les sectes à l’index


Doit-on présenter Lucien de Samosate ? Les plus anciens parmi nos lecteurs se souviennent sans doute du célèbre rhéteur grec et de ses brillantes conférences philosophiques en Gaule. De nombreux exemplaires de ses ouvrages circulent à Marseille, notamment Les sectes à l’encan, texte déjà traduit en plusieurs langues. Dans le cadre de notre enquête sur les sectes, nous sommes allés le rencontrer à Rome, où il a été convoqué au palais. Il nous a volontiers accordé un entretien, manifestant son vif intérêt pour notre cité.


Lucien : un philosophe contre les sectes


Rome, été 171. - Bâti sur une colline de la périphérie de la ville, le plus récent des établissements de bains de la capitale ne manque pas d’allure. Les thermes neufs, dont on doit la réalisation au génie d’Hippias, l’architecte de l’empereur, viennent juste d’être inaugurés. Dotée des ultimes conforts, la construction se révèle particulièrement accueillante. Inondée de soleil en cette saison, elle n’en garde pas moins la fraîcheur justement recherchée en ce lieu, car la lumière y est distribuée avec intelligence. Passé le vestibule où demeurent les domestiques, puis le couloir qui s’ouvre sur les différentes salles, me voici dans la pièce contiguë à celle des bains froids, volontairement tournée vers le septentrion. C’est ici, dans la fraîcheur de ce noble lieu entièrement recouvert de marbre de Phrygie, que Lucien de Samosate a bien voulu répondre à mes questions.


Denys de Marseille : Ainsi, c’est donc vous, Lucien de Samosate. 

Lucien de Samosate : Moi-même.

Denys : C’est donc vous qui ne croyez rien ?

Lucien : Moi-même.

Denys : Cependant vous êtes philosophe.

Lucien (avalant une galette au miel) : On le dit.

Denys : Mais vous ne dédaignez pas les gâteaux.

Lucien : Croyez-vous que les abeilles ne travaillent que pour les imbéciles ?

Denys : C’est à dire que...

Lucien : C’est à dire que vous pensez peut-être qu’il est indispensable, pour être philosophe, de se laisser pousser la barbe, de prôner la pauvreté, de se munir d’un bâton, de courir les chemins et ... Au fait, avez-vous lu mon livre ?”

Denys : Vous voulez parler des Sectes à l’encan, bien sûr, c’est un vrai succès de librairie.

Lucien : J’en suis heureux. Et vous, comment vous appelez-vous ?

Denys : Je m’appelle Denys. J’enquête sur le développement des sectes.

Lucien : Denys ? Comme l’aréopagite athénien que les chrétiens avaient jadis embobiné en lui promettant qu’il allait retrouver dans les cieux son père tout puissant ? 

Denys : Le mien fabrique des couteaux à Marseille.

Lucien : À la bonne heure ! J’espère que votre style sera aussi affûté que les instruments de votre père. Surtout contre les sectes, car je crois savoir que vous n’êtes pas épargnés à Marseille, avec vos menteurs professionnels.

Denys : Décidément, cette réputation nous colle à la peau. C’est la faute à Pythéas. 

Lucien : Je plaisante. Peut-être avez-vous lu aussi mon Histoire véritable ?

Denys : Cet ouvrage de fiction dans lequel vous vous moquez des récits inventés par les plus grands historiens et philosophes, où vous évoquez l’autre rive de l’océan, où vous faites voyager vos héros sur la Lune ? Oui, je l’ai lu.

Lucien : Vous souvenez-vous de l’épisode de la mer de lait ?

Denys : Peut-être.

Lucien : Eh bien, je me suis inspiré du texte de Pythéas.

Denys : Comment est-ce possible, son livre a disparu ?

Lucien : À vrai dire, je n’ai lu que ce qu’en disaient Polybe et Strabon. Mais l’ouvrage de Pythéas n’a pas disparu. Je crois savoir qu’on le trouve encore à la bibliothèque d’Alexandrie. J’ai d’ailleurs peut être eu tort de m’en moquer car j’ai appris que les astronomes égyptiens tenaient votre navigateur en haute estime. Si mes nouvelles fonctions m’en laissent le loisir, je compte bien lire son ouvrage De l’Océan dans le texte. Tiens, je vous en ferai parvenir une copie.

Denys : Je vous en remercie. Vous allez donc en Égypte ?

Lucien : Oui Monsieur. Je vais m’occuper des finances de la province.

Denys : Vraiment ?

Lucien : Cela vous étonne ? Vous croyez à une galéjade ?

Denys : Excusez ma surprise. C’est que l’on vous connaît surtout comme écrivain. 

Lucien : Eh quoi ! Notre empereur lui-même, Marc Aurèle, n’est-il pas philosophe ? 

Denys : Certes.

Lucien : Il m’a fait recevoir, hier au palais, par son ministre en personne pour me proposer cette tâche.

Denys (rêveur) : La bibliothèque d’Alexandrie !

Lucien : Venez en Égypte, un de ces jours. Vous verrez, pour votre enquête, vous serez servi. Ils ont des dieux de toutes figures et de tous poils. Et autant de religions.

Denys : C’est qu’Alexandrie n’est pas à côté. Mon enquête prendrait des années. 

Lucien : N’êtes-vous pas de grands voyageurs, vous les Marseillais ?

Denys : Et puis ce sont les sectes qui m’intéressent.

Lucien : Sectes, religions, quelle différence ? Ce sont toujours des croyances.

Denys : Mais il faut bien croire en quelque chose.

Lucien : Pourquoi donc ? La plupart des croyants se fondent sur des points contestés pour vous forcer à croire. D’autres rattachent à des évidences des raisons obscures et ils appellent cela des démonstrations !

Denys : Par exemple ?

Lucien : Par exemple, quand on croit démontrer qu’il y a des dieux, parce que les dieux ont des autels.

Denys : Mais c’est une illusion bien présomptueuse de croire l’homme capable de comprendre le monde ! les choses sont bien plus complexes qu’il n’y paraît ! ce serait trop simple !

Lucien : Allons bon ! mais de quelle secte êtes-vous ?

Denys : D’aucune, rassurez-vous, je me suis contenté de fréquenter les doctes de l’Académie, à Marseille.

Lucien : C’est bien ce que je pensais. Mais comment pouvez-vous vous préoccuper de l’essentiel si votre esprit demeure encombré d’inutiles subtilités ?

Denys : Les Académiciens ne sont jamais à court d’idées.

Lucien : Ni de jeux spirituels. Quittez cette secte, mon ami, si vous souhaitez demeurer crédible et intéressez-vous à la vertu. Évidemment, vous n’avez jamais songé que la vertu consiste principalement dans les actes, dans la pratique de la justice, de la sagesse, du courage.

Denys : Mais vous vous moquez des philosophes.

Lucien : Ne croyez pas cela. J’ai de l’estime pour les vrais sages mais je chasserai toujours les imposteurs et croyez-moi, il y a du travail, et pour longtemps.

Denys : Justement, les vrais sages respectent les dieux.

Lucien : Le respect est une vertu essentielle. Celui des usages règle la vie sociale. Tenez, mon ami Celse, grand maître en zététique...

Denys : Cette philosophie du doute absolu ?

Lucien : Une pensée que je partage. Mon ami Celse, disais-je, n’en est pas moins un païen honnête.

Denys : Je le connais. J’ai suivi plusieurs de ses conférences, à Nice. Il prépare, je crois, un ouvrage sur les chrétiens.

Lucien : Vous voilà bien informé. Comme moi, il combat les fausses sciences. Il m’a d’ailleurs demandé d’écrire la vie d’un charlatan faiseur de miracles, Alexandre d'Abonotique, en Paphlagonie.

Denys : Sur la rive sud du Pont-Euxin.

Lucien : C’est cela. J’ai longuement enquêté, un peu comme vous le faites, sur les faits et gestes de cet olibrius.

Denys : Quand pourrons-nous vous lire ?

Lucien : Hélas, pas avant quelques années, je le crains. D’autant qu’il faut d’abord que j’achève mon Toxaris, un livre sur l’amitié.

Denys : Quel beau sujet ! Savez-vous qu’à Marseille, nous pouvons nous honorer de la présence du champion du monde de cette vertu ?

Lucien : Voilà qui m’intéresse grandement. Mais je possède quelques exemples qu’il me semble bien difficile de dépasser. Racontez-moi vite votre galéjade.

Denys : Je vous en prie ! Je suis sérieux.

Lucien : Et moi sceptique. Mais trêve de plaisanterie, en effet, je vous écoute.

Denys : L’homme dont je vais vous parler s’appelle Zénothémis. Il vient d’ailleurs souvent en Italie où il représente maintenant notre cité en sa qualité de plénipotentiaire. 

Lucien : C’est un homme honorable. Fréquente-t-il les bains ?

Denys : Eh, nous pourrions le croiser à la sortie. Figurez-vous que cet homme a épousé, par amitié, la femme la plus laide de l’empire.

Lucien : Par amour, voulez-vous dire ?

Denys : Non, par amitié.

Lucien (hilare) : C’est un pervers !

Denys (agacé) : Écoutez-moi, je m’explique.

Lucien : Allez-y.

Denys : Le père de cette femme s’appelle Ménécrate. C’était un homme riche et puissant à Marseille. Il était membre du conseil des Six-Cents.

Lucien : Le sénat marseillais.

Denys : Exactement. Hélas, malgré la richesse et les honneurs, le père de cette Cydimaque...

Lucien : Le monstre a donc un nom...

Denys : Mais plus de mère. Ménécrate avait perdu sa femme très tôt. La laideur de la fille était un mauvais présage.

Lucien : Dites simplement qu’elle lui fut fatale. La pauvre est morte de chagrin. Je vous trouve bien superstitieux.

Denys : Zeus m’en garde ! Mais avouez que c’est troublant car de nombreux devins avaient prédit ce malheur. La fille porte la mort sur le visage.

Lucien : Tiens donc !

Denys : Croyez-moi, je la connais. C’est vraiment un être affreusement laid : la moitié droite de son corps est desséchée. Elle a un œil éraillé. En un mot, c'est un monstre horriblement traité par la nature, un spectre effrayant.

Lucien : Vous me donnez froid dans le dos.

Denys : Figurez-vous que les malheurs de Ménécrate ne se sont pas arrêtés là.

Lucien : Le gendre était en réalité un escroc de la pire espèce...

Denys : Pas du tout. C’est un homme vertueux au contraire.

Lucien : C’est vrai, c’est lui le bon Marseillais, champion de l’amitié.

Denys : Oui, Zénothémis. Mais comment voulez-vous que je poursuive, si vous ne cessez de m’interrompre.

Lucien : C’est que j’ai beau être romancier, je me perds un peu parmi vos personnages. 

Denys : Vous voulez rire ? Ils ne sont que trois.

Lucien : Le père riche, la fille monstrueuse et le gendre vertueux. J’y suis. Poursuivez. 

Denys : Pour l’instant, Zénothémis n’est pas encore le gendre, il n’est que le meilleur ami de Ménécrate. Ce dernier, souffrant de ne pouvoir marier sa fille malgré tout le bien qu’il possédait et n’ayant pas d’autre héritier, eut la malheureuse idée de proposer au conseil des Six-Cents un décret permettant aux célibataires ou veufs sans descendance mâle, de signer avec un ami un contrat réciproque de succession.

Lucien : l’idée semble intéressante. Mais pourquoi vouloir légiférer en ce domaine ? Un acte privé devrait suffire ?

Denys : J’ignore tout de ces détails juridiques mais la réaction des Six-Cents fut brutale. Ménécrate se vit privé de tous ses biens pour avoir proposé un décret contraire aux lois. 

Lucien : C’est bien injuste.

Denys : C'est ainsi que nous autres Marseillais, nous punissons ceux qui font des propositions illégales. Ménécrate fut terrassé par cette condamnation qui, en si peu de temps, de riche le faisait pauvre, et minable, de considérable qu'il était.

Lucien : Il n’a pas fait appel.

Denys : Cette décision était irrévocable, sauf par l’assemblée elle-même.

Lucien : Dont jamais plus d’un quart des membres n’assistent aux séances, je suppose. 

Denys : Tout juste.

Lucien : Mais pourquoi une telle opposition ? Que reprochait-on à ce décret ?

Denys : Certains y ont vu une atteinte aux bonnes mœurs.

Lucien : Je ne comprends pas.

Denys : Le lendemain du dépôt de la proposition, le doyen de l’assemblée, qui avait préparé son discours, s’est élevé contre ce texte, présenté par lui comme instituant de fait, le mariage homosexuel.

Lucien : C’est hallucinant ! En quoi un simple contrat de succession peut-il être assimilé à un mariage ? Et quand bien même ce serait le cas, quel préjudice pour la société ?

Denys : Vous savez bien que le mariage est une institution sacrée.

Lucien : Nullement. C’est un contrat, voilà tout. Qu’est-ce que c’est que cette obsession de tout sacraliser et cette manie de vouloir réglementer la vie privée ! Aucune voix ne s’est donc élevée contre ce vieux fou ?

Denys : C’est que l’orateur est un homme influent. Il ne manque ni de conviction, ni de pouvoir de persuasion.

Lucien : Je connais, à Athènes, de ces rhéteurs emportés par un grand fond d’ignorance, mais affichant aussi de l’aplomb, de l’audace, de l’impudence ; de ces hommes dénués de toute modestie, de réserve, de discrétion, de cette timide rougeur qui distingue les gens sensibles ; de ces orateurs à la voix sonore et au discours creux, au débit insolent et au menton porté bien haut.

Denys : On jurerait que vous l’avez rencontré.

Lucien : Cela ne doit guère vous étonner. La bêtise est sans doute la chose la mieux distribuée au monde. Mais revenons à votre histoire.

Denys : Notre homme a eu tôt fait d’emporter la décision du conseil d’autant qu’à l’extérieur, quelques agités, informés entre-temps, commençaient à ameuter la foule contre la proposition de loi.

Lucien : D’où sortaient-ils, ceux-là ? De quoi se mêlaient-ils ?

Denys : Ils étaient emmenés par une femme hystérique et sans pudeur, appartenant au courant le plus extrême de la secte des chrétiens. Elle se faisait d’ailleurs appeler du nom de leur prophète.

Lucien : Je trouve ces gens étonnants. Ils nous entretiennent d’un certain dieu, fabricateur de toutes choses, mais ne peuvent dire d’où il venait.

Denys : Les manifestants ne semblaient guère se soucier de ces considérations métaphysiques. A la suite de cette femme, juchés sur un char, prenant des airs efféminés pour se moquer méchamment des homosexuels, quelques jeunes gens des beaux quartiers interpellaient la foule.

Lucien : Vous voulez dire que ces jeunes boutonneux qui ne connaissent rien de la vie sont des enfants de riches ? Comme c’est curieux ! Mon ami Celse a remarqué, au contraire que les chrétiens recrutaient essentiellement chez les pauvres...

Denys : Marseille est une ville de paradoxes.

Lucien : Celse m’a expliqué qu’ils opéraient dans les maisons particulières des cardeurs, des cordonniers, des foulons, chez les gens les plus incultes et les plus grossiers. Tandis que devant les maîtres pleins d'expérience et de jugement, ils n'osaient souffler mot. Ils prennent à part les enfants et les plus sottes bonnes femmes et leur débitent des propos étranges. Sans égard au père et aux précepteurs, c'est eux seuls qu'il faut croire, les autres ne sont que des radoteurs stupides. Tout en parlant, voient-ils arriver un des précepteurs de cette jeunesse, des hommes de jugement, ou le père lui- même, les plus timides s'enfuient en tremblant, les plus effrontés excitent les enfants à la révolte.

Denys : Exciter est le mot juste.

Lucien : Et quelle était la réaction du public ?

Denys : Plutôt hostile à vrai dire. Certains s’amusaient du ridicule des agitateurs, d’autres se montraient particulièrement agressifs à leur égard, non qu’ils soutenaient la proposition de Ménécrate dont ils ignoraient sûrement tout, mais parce qu’ils détestaient les chrétiens. Une bagarre aurait même éclaté sans l’intervention de quelques chrétiens modérés prônant la concorde aux cris de “ Pax ! Pax ! ”.

Lucien : C’est curieux comme cette secte manifeste chaque jour une plus grande audace. Il n’y a guère, elle se terrait encore dans d’obscures cachettes. Aujourd’hui, aux quatre coins de l’empire, ses adeptes osent sortir de leurs trous et se montrer au grand jour.

Denys : Reconnaissons leur le mérite de demeurer fidèles à leur croyance et de mépriser avec grand courage la peine de mort qu’ils encourent en tant qu’agitateurs.

Lucien : Ces malheureux se figurent qu’ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort. Le fondateur de la secte leur a affirmé qu’ils étaient tous frères. Dès qu’ils ont changé de culte, ils renoncent aux dieux des Grecs et adorent leur prophète crucifié dont ils suivent les lois. Ils méprisent également tous les biens et les mettent en commun, sur la foi complète qu’ils ont en ses paroles. En sorte que s’il vient à se présenter parmi eux un imposteur, un fourbe adroit, il n’a pas de peine à s’enrichir fort vite, en riant sous cape de leur simplicité. Mais poursuivez votre histoire.

Denys : Déchu de ses droits, privé de ses biens, le malheureux Ménécrate n’entrevoyait qu’une maigre consolation : le soutien moral de son ami Zénothémis.

Lucien : C’est toujours ça.

Denys : Cher Ménécrate, lui dit ce dernier, tu ne manqueras jamais du nécessaire, et ta fille trouvera un époux digne de sa naissance. En disant cela, il le prit par la main et le conduisit dans sa maison, où il lui fit présent d'une partie de son immense fortune. 

Lucien : Si votre histoire est vraie, sûr que j’en ferai bon usage.

Denys : N’en doutez pas. Ensuite, Zénothémis fit préparer un banquet auquel il invita plusieurs de ses amis avec Ménécrate. À la fin du repas, après les libations faites aux dieux, il remplit sa coupe, et, la présentant à Ménécrate lui dit : reçois cette coupe de la main de ton gendre ; j'épouse aujourd'hui ta fille Cydimaque.

Lucien : Votre histoire prend des airs de légende. N’était-ce pas la coupe de Gyptis, jadis offerte à Protis, le fondateur de votre cité ?

Denys : Qui sait ? Toujours est-il que Ménécrate songea d’abord à une plaisanterie. Fi donc ! s'écria-t-il, je ne suis pas assez fou pour croire qu'un homme jeune et beau veuille épouser une fille aussi laide et contrefaite que la mienne. Il parlait encore, que Zénothémis emmena sa fiancée dans la chambre nuptiale et ne sortit qu'après avoir consommé le mariage. Depuis ce moment il ne la quitte pas, l’aime avec tendresse, et la conduit partout avec lui.

Lucien : Quelle histoire touchante ! Ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants.

Denys : Un seul. Un adorable petit bonhomme. Il n'y a pas si longtemps, son père l'a conduit au conseil des Six-Cents, couronné d'olivier et revêtu d'une robe noire, afin d'inspirer plus de pitié pour son grand-père. L’enfant sourit aux sénateurs et frappa dans ses mains. Le sénat, attendri par ce spectacle, oubliant l’indécente proposition de loi, fit remise à Ménécrate de sa condamnation et le réintégra dans ses premiers honneurs grâce au nouvel avocat qu'il avait trouvé devant le tribunal.

Lucien : L’insupportable vieillard n’a donc pas fait obstacle à cette relaxe ?

Denys : Il s’était absenté le jour de la séance.

Lucien : Et la chrétienne ?

Denys : Indésirable à Marseille, on dit qu’elle est allée se réfugier à Lyon où la secte connaît un regain d’activité.

Lucien : Votre récit m’a beaucoup plu et je suis sûr que si un seul événement de notre époque devait marquer l’histoire de votre ville, ce serait celui-là. Aussi, je vous promets de le conter à ma manière dans mon prochain ouvrage. Quant à vous, si un jour vous décidez d’écrire un livre sur Pythéas, venez me voir à Alexandrie, j’aurai plaisir à m’entretenir de nouveau avec vous.


Propos recueillis par François HERBAUX

Librement inspiré de Lucien de Samosate



Illustration Élio Tisi.