Révélée en 1991, la grotte Cosquer, dans les calanques de Marseille, recèle un trésor inestimable : un émouvant bestiaire peint et gravé par nos ancêtres du Paléolithique.
Si les Phocéens ont fondé Marseille, ils n’ont pas été les premiers séduits par le charme de cette baie accueillante. Ils ont certes occupé les lieux il y a 2 600 ans mais c'était pour entretenir aussitôt d'étroites relations avec les populations autochtones. Il s'agit pourtant là d'un passé bien récent en regard d'une période ô combien plus lointaine : le Paléolithique. De cette époque, la grotte Cosquer à Marseille nous livre d'émouvants témoignages, datés (pour les plus anciens) de 27000ans ! Quelques collines dominant la steppe formaient alors le massif des Calanques.
UN « SANCTUAIRE ENGLOUTI »
"Un Lascaux sous la mer !" C'est en ces termes que fut accueillie, en octobre 1991, la révélation de la découverte d'une grotte sous-marine au cap Morgiou. Cette trouvaille, on la doit à un inlassable curieux : Henri Cosquer, plongeur professionnel à Cassis. Depuis des années, il explorait les cavernes sous-marines des Calanques. Un jour de 1985, son goût de l'aventure l'avait conduit à pénétrer dans un étroit tunnel englouti qui débouchait dans une vaste grotte. Celle-ci porte aujourd'hui son nom.
L'existence de sites paléolithiques sous la mer n'a pas vraiment surpris les préhistoriens. Depuis une vingtaine d'années, quelques uns d'entre eux (dont Jean Courtin) avaient déjà entrepris d’explorer certaines grottes sous-marines. "Le Paléolithique supérieur correspond à une époque de grand froid dont la 2e période de Cosquer marque la phase maximale. La mer était alors située à environ une dizaine de kilomètres de la côte actuelle, c'est pourquoi de nombreux sites sont aujourd'hui engloutis" explique Gérard Onoratini, préhistorien et géologue, chercheur au CNRS. À cette époque, les îles marseillaises étaient reliées à la côte, tout comme d'ailleurs les îles d'Hyères.
UNE HISTOIRE SURPRENANTE
Si l'on évoque deux périodes à propos de la grotte Cosquer, c'est en raison des datations obtenues par l'analyse des charbons prélevés sur les peintures. Celles-ci ont révélé une histoire bien surprenante. Occupée pendant une première phase, vers 27 000ans, la grotte semble avoir été délaissée pendant des millénaires puis revisitée vers 18 500ans, avant de sombrer à nouveau dans un oubli qui a bien failli bien demeurer éternel.
L'ancienneté des premières oeuvres n'a pas manqué de surprendre les préhistoriens. À l'annonce des datations, celles-ci établissaient d'ailleurs un record, dépassé depuis par la grotte Chauvet, en Ardèche.
Les vestiges de la première période se composent de "tracés digitaux", sorte de réseaux de lignes informes, marques volontaires laissées par les hommes préhistoriques dans l'argile molle des parois (du bout des doigts mais peut-être aussi au moyen de stalactites). Les "mains négatives" caractérisent également cette époque. En appliquant leurs mains sur la paroi et en pulvérisant par-dessus une poudre de charbon, les artistes réalisaient des mains "au pochoir". Les préhistoriens connaissaient déjà de nombreuses oeuvres de ce type. Elles avaient été découvertes dans d'autres grottes dans le Sud-Ouest, en Espagne et même en Australie. Certaines mains semblent présenter des doigts mutilés. Pour Jean Clottes et Jean Courtin, il s'agit vraisemblablement de doigts repliés, témoignant d’une sorte de langage...
DES GENS COMME VOUS ET MOI
Comme c'est souvent le cas, les révélations de Cosquer ont suscité plus de questions qu'elles n'ont apporté de réponses.
Qui étaient ces artistes ? La grotte n'a pas livré de restes humains mais des squelettes de cette époque avaient été découverts près de Menton à la fin du XIXe siècle. Les scientifiques ont donc pu établir le portrait robot de l'artiste de Cosquer. Il s'agit de l'Homme de Cro-Magnon, un homo sapiens sapiens, comme vous et moi.
Que venait-il faire dans les grottes ? La plupart des spécialistes considèrent ces abris comme des sanctuaires, des lieux de culte.
Que s'est-il passé entre 27 000 et 18 500 ans ? Les scientifiques admettent leur ignorance. En tous cas, la redécouverte de la grotte semble avoir été accompagnée d'actes de vandalisme à l'égard de certaines oeuvres de la première période. Les hommes de la seconde période en furent-ils les auteurs ? "Lorsque les hommes de la phase 2 pénétrèrent dans la grotte, ils ne purent manquer d'être frappés par la présence des mains. Henri Cosquer lui-même remarqua une main négative avant toute autre chose. Ces mains, pour des gens vivant dans un monde où les pratiques magiques font partie de la vie courante, symbolisaient sans doute une puissance ancienne, une magie dont le souvenir s'était perdu, potentiellement dangereuse. Ils s'efforcèrent donc de la neutraliser" commente Jean Clottes.
Si les artistes de la seconde période étaient aussi quelque peu iconoclastes, on peut presque pardonner leur comportement. En effet, bien qu'âgées alors de 9000 ans, les premières oeuvres de Cosquer n'avaient pas encore fait l'objet d'un classement aux "monuments historiques" tandis que les secondes demeurent aujourd'hui parmi les plus originales de l'art paléolithique. Outre les figures classiques de l'art pariétal comme le cheval ou le bison les parois de Cosquer nous ont révélé une faune marine particulièrement intéressante : des pingouins, des phoques, bref des animaux caractéristiques d'une mer froide, mais aussi des poulpes (à moins qu'il ne s'agisse de méduses).
BIBLIOGRAPHIE
Jacques Collina-Girard, La Caverne engloutie, Mémoires Millénaires, 2022.
François Herbaux, Nos Ancêtres du Midi, Jeanne Laffitte, 2005.
Jean Clottes et Jean Courtin, Cosquer redécouvert , Le Seuil, 2005.
Jean Courtin, Le Chamane du bout du monde, Le Seuil, 1998.
Jean Clottes et Jean Courtin, La Grotte Cosquer, Le Seuil, 1994.
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francoisherbaux.fr