«Les Phocéens n’ayant chez eux qu’un sol étroit et aride, étaient plus marins qu’agriculteurs. Ils subsistaient de la pêche, du commerce, quelquefois même de la piraterie qu’on regardait en ce temps-là comme un métier honorable. Après s’être avancés hardiment jusqu’aux bornes de la Méditerranée, ils abordèrent à l’endroit où le Rhône se jette dans un bras de la mer des Gaules. Charmés de la beauté du pays, ils firent, de retour chez eux, le rapport de ce qu’ils avaient vu, et engagèrent un plus grand nombre de leurs concitoyens à s’y aller établir ». Justin (1).
La suite, beaucoup la connaissent : sous la conduite du jeune Prôtis, ces colons grecs débarquèrent chez le roi Nannos qui célébrait le mariage de sa fille Gyptis avec un prétendant désigné lors de la cérémonie. Gyptis choisit Prôtis et lui apporta en dot le terrain même où il se proposait de bâtir la ville.
Marseille s’accroche à sa légende comme une orpheline de l’Histoire. Ou plutôt, si l’on en croit la date présumée de la fondation de la ville, l’Histoire apparaît bien trop jeune pour l’avoir vu naître.
Lorsque les fondateurs de la cité abordèrent le Lacydon, vers 600 avant notre ère, les Ligures qui peuplaient les côtes du Midi vivaient à l’âge du fer, Rome entamait une timide jeunesse et la Grande Grèce ne rayonnait pas encore du prestige de ses philosophes et de ses historiens.
Un siècle et demi plus tard, Hérodote mentionnait à peine le comptoir phocéen à l’occasion de sa description d’une peuplade de marchands venus du nord pour commercer avec les Ligures «au-dessus de Marseille (2)».
Les relations de ces Ligures avec les Marseillais ne se réduisaient pas une bienveillante cordialité post-nuptiale. La légende raconte que dès la mort du roi Nannos, le frère de Gyptis avait voulu étouffer dans l’oeuf la puissance marseillaise naissante. Son entreprise a échoué et tout indique au contraire une influence grandissante de la cité grecque.
LA VIGNE ET L’OLIVIER
L’archéologie vient ici épauler l’Histoire. Dès le VIe siècle, les céramiques marseillaises étaient présentes sur toute la côte, des Alpes aux Pyrénées, mais aussi le long des vallées du Rhône et de la Saône. Bientôt, les indigènes eux-mêmes se sont mis à imiter la poterie grecque et, plus tard, leurs plans de construction.
«Ce furent ces Phocéens qui humanisèrent les Gaulois et en polirent les moeurs ; qui leur apprirent à cultiver la terre, à ceindre les villes de murailles, à vivre sous le joug des lois et non dans la licence des armes, à tailler la vigne et à planter l’olivier. » ajoute la légende.
Tiraillés entre des Marseillais de plus en plus influents et des Celtes venus du Nord, les Ligures se sont adaptés progressivement. Des sites celto-ligures ont été identifiés dans toute la région. À Saint-Blaise (St-Mitre-les-Remparts), dès le VIIe siècle, les habitants pratiquaient des échanges avec les Étrusques avant que le commerce marseillais ne s’impose.
Mais les Celto-Ligures conservaient leurs traditions propres, Les découvertes de Roquepertuse (Velaux) ont bien mis en évidence les limites de l’influence grecque face aux cultures celtiques (3) de ces peuples qui n’ont d’ailleurs jamais cessé d’être considérés comme barbares.
Les descendants de Prôtis regardaient vers la mer. Dès le IVe siècle, il avaient installé des comptoirs à Agaté (Agde), Antipolis (Antibes) et Olbia (Hyères) puis fondé, au siècle suivant, Tauroeis (Six-Fours) et Nikaia (Nice).
Avant que Carthage et Rome ne s’affrontent, à partir du IIIesiècle et que le prestige de Marseille de pâlisse dans l’ombre de son puissant allié transalpin, la Cité Phocéenne a pu être considérée, au IVe siècle, comme l’Athènes de l’Occident. C’est à cette époque que le Marseillais Pythéas s’embarqua dans une incroyable aventure maritime. Une autre légende ? Sans doute pas, mais sûrement une autre histoire (4).
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1) Justin (IIe siècle), Histoire universelle extraite de Trogue-Pompée, XLIII, III. (trad. A. Paul - 1822).
2) Hérodote, L’enquête, V, 9. (Traduction A. Barguet - 1964).
3)Travaux de Brigitte Lescure - Musée d’archéologie de Marseille.
4)Il existe une autre version de la légende la fondation de Marseille. À lire dans Nos Ancêtres du Midi.
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Illustration : Marseille, le vieux-Port.
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