Pressées méthodiquement sur le support en une enfilade de gestes partant généralement de gauche à droite puis de haut en bas et de droite à gauche, les éponges iront porter leur empreinte colorée sur ces grandes plages carrées. Une même trace apparaît moult fois, mais elle se métamorphose par la force ou la légèreté du contact, par la densité du pigment. Ce rythme, cette démarche régulière, font songer à une tisserande sur son métier.
Le treillis de couleur ainsi posé ne cache pas le fond : il le voile, l’illumine, ou se perd dans celui-ci. Il accueille de surcroît quelques coulées de peinture, de tonalité parfois contrastée mais qui lui confère ça et là un fragment de trame. Ces éléments jouent en transparence les uns avec les autres : dans les fines toiles synthétiques, l’ombre du châssis se profile derrière la couleur posée ton sur ton. D’autres supports ont attiré ces mêmes recouvrements : des feuilles de plomb et, plus récemment, des anciens tissus, des miroirs... Toujours pas à pas, en une exploration constante, le fond est revêtu du gilet vibrant que constituent ces empreintes juxtaposées.
L’artiste avait posé ses premiers pas en peinture sous le signe du nu qu’elle faisait naître de frottis légers sur la toile, sans se préoccuper outre mesure du dessin. Puis, le paysage est venu engloutir le nu et lui-même s’est dilué dans l’espace de la matière picturale. Ce retrait progressif du sujet de la toile s’est conjugué à un effacement de l’acte lui-même de peindre: le pinceau a cédé la place à l’éponge, un peu comme si le peintre, abandonnant son outil habituel, se refusait toute inscription particulière, individuelle, dans une œuvre où il se répand alors plus anonymement, mais plus largement, plus universellement peut-être.
Du 8 au 25 juillet 1998
Marseille
Friche de la Belle-de-Mai
Anne HUSTACHE
L’atelier d’Aïda (extraits). Septembre 1997
Le site d’Aïda Kazarian