François Bazzoli
Historien d’art
(à propos de Natacha Lesueur)
(1) Il existe plusieurs associations «Terre de Sienne» à Marseille. Celle dont il s’agit ici a été créée à l’initiative d’enseignants du collège Saint-Mauront.
On semblera ne s’en tenir qu’au premier degré si l’on dit que Natacha Lesueur connecte aujourd’hui la peinture, la sculpture, l’architecture, la performance, l’art culinaire et la photographie. Cet élargissement des domaines de la création est une des marques de reconnaissance de l’art de notre temps. Une pensée rhizomatique à l’œuvre, une volonté de retrouver à l’entour les déplacements de sa pensée. On pourrait ajouter que la mixité des pratiques déplace vers la cuisine ce qui se tramait dans le secret de l’atelier. La préparation des chauds-froids ou des glaçages à remplacer le broyage du lapis lazuli ou l’élaboration des glacis. Mais la technique, comme le vocabulaire reste (presque) le même. L’apprêt, ce mot qui peut s’employer en cuisine, en peinture ou en artifice de beauté, est au centre même du travail de montage: une mise en avant des techniques comme dans la pâtisserie où le trompe-l’œil, comme une preuve de faire l’infaisable, de réaliser l’irréalisable, de satisfaire le goût et l’œil, d’accorder la séduction et le savoir, de réconcilier le visible et l’intelligible.
Dans la photographie choisie pour illustrer ce catalogue, Natacha Lesueur compose son travail comme une nature morte allégorique proche du sens d’une vanité. Du bas vers le haut. De l’impureté vers la régularité. De la mer et de ses profondeurs liquides pour remonter vers la terre et ses productions fractales, en fait jusqu’à la perfection mathématique du chou Romanesco. Sans oublier que tout est, ici, apparence des apparences comme en ce bas monde tout est vanité des vanités. Du charnel de l’aliment vers l’éthéré de son essence.
Le pâtissier Antonin Carême (1) qui fut l’inventeur et le maître de cette pâtisserie architecturale (et qui est le loin et adultérin modèle de Natacha Lesueur), d'où jaillissaient parfois de petits feux d'artifices odorants, recommandait à ses émules de s’initier au dessin et d’étudier les œuvres des architectes classiques, de travailler vite et de n’utiliser dans leurs assemblages que deux ou trois couleurs douces. Quelque chose de cela, pour faire oublier la complexité de l’élaboration, s’accroche encore aux complexités des montages de Natacha. Le comestible s’appuie sur le construit et le copie, l’architecturé devient métaphore de la vanité artistique, il signifie l’éphémère, l’œuvre tente de copier Babel et sa tour, de rejoindre les cieux. Mais, même si la photographie fixe cette grandeur, chacun connaît le sort de la tour de Babel.
(1) 1784 – 1833. Carême, qui ne séparait pas l'architecture de la pâtisserie, a écrit cette phrase : "les beaux-arts sont au nombre de cinq, à savoir: la peinture, la sculpture, la poésie, la musique et l'architecture, laquelle a pour branche principale la pâtisserie."