Michel Guérin
Philosophe
(1) Il existe plusieurs associations «Terre de Sienne» à Marseille. Celle dont il s’agit ici a été créée à l’initiative d’enseignants du collège Saint-Mauront.
Le catalogue
en pdf (13 Mo)
Notre époque éclectique nous inclinerait à gommer la différence entre l'art culinaire et la peinture, emblème des «beaux-arts». Un chef ne signe-t-il pas des mets exquis comme un maître appose sur le tableau la marque de son génie ? Le mot « art » ne témoigne-t-il pas d'ailleurs d'une parenté entre l'action de composer un plat et celle de projeter sur la toile des lignes et des couleurs « en un certain ordre assemblées » ? Il ne serait pas difficile de réunir les deux « arts » sous un tel amas d'adjectifs élogieux (bon, beau, bien présenté, décoratif, esthétique...) qu'il nous empêcherait de considérer ce qui les distingue - et qui varie selon qu'on prend ses repères aux XVIIIe et XIXe siècles ou dans le cadre analytique de l'art contemporain.
Le premier des deux systèmes est gouverné depuis la Renaissance par le croisement entre l'art des choses et les choses de l'art. Schématiquement: le « bel art » (choses de l'art) s'extirpe de l'art tout court (le grec tekhnè, le latin ars) seulement capable de fabriquer des « jolies choses » (art des choses). Toute une série d'oppositions en découle : l'artisanat comme « art mécanique », si virtuose soit-il, n'atteindra jamais à la cheville de l'art « libéral », de même que les goûts (en cuisine notamment) ne sont pas le goût. Le « bel art » est « cosa mentale » (Léonard de Vinci), il est pensée plastique, ou, comme dira Hegel, la manifestation sensible de l'Idée. Le beau rompt avec l'agréable (Kant) et se définit partiellement de cette opposition. Pour condenser cela en images : le tableau est une petite table (tavoletta) mais verticale et qui médite de grands sujets (le fameux « grand art » ou high art) ; alors qu'on a beau dire la table « dressée », elle demeure horizontale, signe d'une animalité amendée par la culture.
II en va tout autrement si enjeu n'est plus l'appréciation subjective, mais la définition autorisée (par le « monde de l'art ») : ceci est (ou n'est pas) de l'art. Du coup, la question évacue la qualité de plaisir (dit esthétique) ; elle consiste à savoir où, quand, comment et par qui un objet qui, dans le quotidien de la vie, n'attire pas spécialement notre attention, peut se trouver, dans certaines conditions strictes, pourvu d'une « intention » artistique. On ne dira pas que la cuisine est un art, mais qu'un artiste a le pouvoir d'investir cette activité, de la présenter de telle manière (pour faire vite : au second degré - exemple Natacha Lesueur) que la perception de l'« objet » n'est pas discriminante, mais plutôt la classe dont il relève. L'art peut cloner tous les objets et toutes les situations, pourvu qu'il montre en même temps un écart avec le schème premier (j'allais dire « naturel »).
Haut de page :
Andy Warhol, La Cène, 1986,
100x100, peinture acrylique, sériegraphie sur toile. ©Adagp, Paris 2005